Justice sociale

Compétences de l’enfant : le rôle crucial de l’interaction avec les parents

Miniature Valeria Zoncoll Unsplash

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Peu étudiée en économie, la relation parent-enfant est pourtant un sujet crucial, intimement lié à des enjeux socio-économiques fondamentaux comme les inégalités, la croissance, ou l’éducation. Le chercheur Avner Seror se penche sur la nature de cette interaction et sur l’impact des écrans au sein de celle-ci. 

Par Avner Seror

Avner Seror

Auteur scientifique, Aix-Marseille Université, Faculté d'économie et de gestion, AMSE

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Sophie Bourlet

Sophie Bourlet

Journaliste scientifique

Largement explorée par des disciplines comme la médecine et la psychologie, l’acquisition des compétences cognitives et sociales reste un territoire peu connu des économistes. Le prix Nobel en économie, James Heckman a ouvert la voie en théorisant un modèle de capital humain à développer dès l’enfance. Il démontre que l’investissement de ressources dans les enfants en bas âge a un meilleur rendement qu’à n’importe quelle autre période de la vie. 

Dans son article « Child Development in Parent-Child Interactions » publié dans Journal of Political Economy, le chercheur Avner Seror s’interroge lui sur les interactions entre les parents et leurs enfants, le développement des plus jeunes et sur l’impact de l’exposition aux écrans.

Théorie de l’attachement

Les interactions parents-enfants ont fait l’objet de nombreuses théories en psychologie du développement. L’une des plus connues provient du psychiatre James Bowlby qui introduit la théorie de l’attachement à la fin des années 1960. Cette théorie repose sur l’idée qu’un jeune enfant a besoin de développer une relation d’attachement avec au moins une personne qui prend soin de lui de façon cohérente et continue, un caregiver. Par le soin, la tendresse et les réactions positives, un parent permet à son enfant de construire des représentations mentales de lui-même en tant qu’être aimé et compétent. Ces représentations mentales façonnent les compétences non-cognitives, ou socio-émotionnelles, de l’enfant en augmentant sa motivation à apprendre et à explorer son environnement.

Compétences cognitives et compétences non-cognitives chez le jeune l’enfant : de quoi parle-t-on ?

Les compétences cognitives sont la faculté d’apprentissage et l’évolution des fonctions intellectuelles : la mémorisation, l’acquisition du langage ou la numération. Ce processus naturel est étroitement lié à la maturation du cerveau, à sa croissance motrice et à son héritage génétique.

Les compétences non-cognitives, ou compétences socio-émotionnelles, sont l’ensemble des compétences qui relèvent du comportement et de l’état d’esprit, comme le souci du travail bien fait, la persévérance, la stabilité émotionnelle, la créativité ou la coopération.

Dans le modèle développé par Avner Seror, l’enfant doit choisir une action dont seul le parent connaît la conduite optimale, par exemple partager son jouet, apprendre à marcher ou à éviter un danger. Le parent communique avec l’enfant en lui envoyant un signal sur l’action optimale et il le récompense s’il se comporte de manière adéquate. 

Une illustration de ce modèle est l’exemple du bébé qui gazouille. La maman s’approche de lui, regarde sa progéniture, sourit et imite son gazouillis. Le bambin, ravi, va faire un effort pour gazouiller à nouveau. Il sera récompensé par des sourires, des câlins, et d’autres réactions positives. Grâce à la réaction positive de la maman, l’enfant apprend à se voir aimé et compétent, capable d’émettre des sons qui provoquent des réactions. Cette image de soi est une compétence non cognitive essentielle pour poursuivre son apprentissage. Lorsqu’il émet le son « ma-ma-ma », le bébé s’aperçoit que les réactions de sa maman, persuadée d’entendre « maman », sont encore plus positives que les autres sons. Il va donc le reproduire. À travers cette interaction, les mots commencent à acquérir un sens pour l’enfant. 

une mère et son bébé passant un moment ensemble

Photo par Prostock Studio sur Adobe Stock

En décryptant le signal du parent, l’enfant développe ses compétences cognitives. Les récompenses du parent permettent à l’enfant de développer des compétences non-cognitives et de construire une représentation de lui-même en tant qu’être aimé et compétent. Ces compétences non-cognitives augmentent la motivation de l’enfant à choisir des actions optimales. Par conséquent, on observe une complémentarité dans la formation des compétences cognitives et non-cognitives : à mesure que l’enfant apprend du parent, il acquiert des compétences cognitives tout en développant des compétences non-cognitives qui augmentent sa motivation à apprendre et ainsi de suite.

Des interactions de qualité

Comment créer des conditions d’interactions idéales ? Deux ressources se trouvent nécessaires : l’argent et le temps. C’est un premier facteur d’inégalités : les ouvriers et les employés, en particulier les moins qualifiés, sont les plus nombreux à travailler de nuit ou à commencer tôt le matin. Une contrainte qui peut réduire le temps passé avec les enfants. Les ressources financières rendent également accessibles les sorties, les livres, les jeux, les découvertes, etc. Ceux-ci peuvent favoriser les interactions, mais aussi générer des d’inégalités.

Il faut aussi valoriser uniquement les actions optimales. Ainsi, celles ne correspondant pas aux attentes parentales seront moins valorisées. Vouloir toujours donner un retour positif à l’enfant pour le rendre heureux dans l’immédiat n’est pas un bon investissement pour le futur. À l’inverse, la capacité à se projeter dans son développement permettra d’améliorer l’apprentissage. Dans cette recherche, un autre paramètre exploré est la capacité à interagir, à passer du temps de qualité avec l’enfant. On peut avoir plus ou moins de préférence pour l’interaction avec des enfants, selon leur âge aussi. Par exemple, dans le cas d’une dépression post-partum, qui suit la naissance, la mère est dans l’incapacité temporaire d’interagir positivement. Une dernière condition intégrée au modèle est de présenter un caractère altruiste vis-à-vis des enfants, dans la répartition de ses propres ressources entre soi et le petit.

Les écrans ne sont pas doués d’affection

Depuis une quinzaine d’années, avec l’arrivée des tablettes et smartphones, ces invités indésirables se sont immiscés dans la relation éducative. L’exposition moyenne aux écrans ne cessent augmenter1  alors que les recommandations sanitaires ne sont que peu suivies. Selon Santé publique France, en 2023, un enfant de 2 ans passerait en moyenne 56 minutes par jour sur un écran, et jusqu’à 1 h 34 pour les enfants de 5 ans et demi. Bien que les sciences, économiques ou médicales, ne connaissent pas encore précisément ses effets, l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire, ANSES, suspecte ces pièges à attention d’être associée à des troubles de la mémoire, du sommeil, ou de la concentration, avec des effets secondaires tels que l’isolement social, la dépression, le manque d’activité physique ou encore l’obésité.

  • 1Selon le Baromètre 2022 du numérique, 87 % des français possédent un smartphone.
Plan en paysage d'un enfant hypnotisé par l'écran d'une tablette.

Photo par Kelly Sikkema sur Unsplash

Dans son article "Child Development in Parent-Child Interactions", Avner Seror démontre un effet négatif des écrans. Les nombreux écrans ne favorisent pas les interactions humaines. Au contraire ils phagocytent l’attention des enfants et des parents. Dans le cas d’un enfant exposé aux écrans, il consacrera moins d’efforts à l’apprentissage donné par les parents. Ainsi, sa capacité à se considérer comme compétent et aimé conduit à une plus faible motivation à apprendre davantage de son environnement. 

En devenant garderie et nounou, les écrans creusent les inégalités. Une personne aisée pourra avoir une garde d’enfant ou une femme de ménage, lui permettant de passer plus de temps de qualité avec ses enfants. À l’inverse, quelqu’un qui manque de temps libre pourrait mettre ses enfants devant la télé pour pouvoir faire le ménage en rentrant du travail, créant des inégalités dans la qualité de l’interaction.

Un monde fait d’interactions

Les conclusions de cette étude sont des pistes d’actions pour les parents et les pouvoirs publics. Il est important d’encourager à limiter l’usage des écrans, mais plus encore de proposer d’autres activités, pour recréer l’interaction parent-enfant. Par exemple, jouer, lire une histoire, faire participer l’enfant à des tâches telles qu’étendre le linge ou mettre une casserole dans la cuisine, etc. L’utilisation des écrans reste un sujet tabou, peu abordé dans les lieux de vie collective comme l’école ou la crèche.

Un enfant sur les genoux de son père qui lit un livre

Photo par Picsea sur Unsplash

Les programmes d’aide à l’enfance devraient mieux prendre en compte les inégalités et viser en particulier les familles défavorisées. Il s’agirait également d’apporter une plus grande considération pour la santé mentale des parents, dans le cas de dépression par exemple, pour permettre le bon développement des enfants. Ces mesures d’aide à la parentalité devraient être mises en place dès le début de la vie de l’enfant, pour construire des fondations stables dès les premiers mois. 

Car le monde n’est qu’une somme d’interactions, nous existons à travers les yeux de nos parents, puis à travers les yeux de nos pairs. Chacun façonne son identité et comprend le monde à travers ces interactions. C’est donc un enjeu primordial pour permettre une société plus épanouie.

Références

Seror, A., 2022, «Child Development in Parent-Child Interactions », Journal of Political Economy, 130(9), 2462‑2499.

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