De l’engagement politique à la mécanique populiste

"Make Democracy Great Again" inscrit sur une façade. Photo par Andreas Gruhl / stock.adobe.com
Pourquoi les discours populistes séduisent-ils autant ? Pourquoi les promesses rigides, parfois irréalistes, paraissent-elles plus crédibles que des engagements nuancés ? Une étude récente analyse les ressorts stratégiques d’un système politique grippé par une crise de confiance envers les institutions.
Le 6 janvier 2020, quelques heures avant l’assaut contre le Capitole, Donald Trump galvanisait ses partisans en désignant comme ennemie une « élite corrompue », sourde aux intérêts du « vrai peuple, celui qui a construit l’Amérique ».
Cette rhétorique condense les ressorts du populisme. Une opposition tranchée entre « le peuple » et une minorité puissante, « l’élite », qui sert de bouc émissaire. Cette parole s’accompagne fréquemment d’attaques qui visent les contre-pouvoirs — notamment la presse et la justice.
La vague du populisme est mondiale. Des États-Unis à l’Europe, en passant par l’Amérique latine, le populisme a le vent en poupe. Mais comment expliquer cette dynamique ?
Pour l’économiste Massimo Morelli, spécialiste des questions d’économie politique, et ses collègues, une variable clé est à l’œuvre : l’effondrement de la confiance dans les institutions.
Crise de confiance, virage populiste
L’autorité des institutions publiques repose sur la confiance des citoyens. Cette croyance en la valeur morale et professionnelle permet l’adhésion aux règles et fonde leur légitimité. Sans confiance, les institutions vacillent.
En février 2024, seuls 22 % des Américains déclaraient faire confiance à l’État fédéral — un plancher historique. Cette méfiance touche également la justice, l’école ou encore les médias. Cette méfiance découle à la fois de l’insécurité économique (mondialisation, crises financières, automatisation) et d’un sentiment de déclassement.

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Plus cette confiance se délite, plus les électeurs réclament des certitudes. En ce sens, ce ne sont pas les leaders qui instaurent le populisme, mais les électeurs qui l’exigent. Tel un nouvel état d’esprit collectif. Face à une confiance brisée, les électeurs préfèrent des engagements fermes, des discours simplifiés, une politique sans détour. Des promesses claires, immédiates, sans zone grise.
Dans ce contexte, les candidats les plus « engagés » — au sens d’engagement ferme, sans marge de manœuvre — tirent leur épingle du jeu. Pour Massimo Morelli et ses collègues Luca Bellodi, Antonio Nicolò et Paolo Robert, ce phénomène donne naissance à ce qu’ils appellent une « politique de l’engagement ». Une politique où le compromis est perçu comme une trahison, où les contre-pouvoirs deviennent suspects. Il s’agit de rompre avec un système « capturé » par les élites, en s’engageant explicitement à agir pour le peuple.
Populistes et réseaux sociaux
S’il y a un espace dans lequel les discours populistes prospèrent, c’est sur les réseaux sociaux. Contrairement aux médias classiques, X (ex-Twitter), TikTok, Facebook et d’autres plateformes offrent la possibilité à chacun de s’exprimer sans filtre et sans intermédiaire : le candidat parle au peuple.
Une forte activité des politiciens populistes sur les réseaux sociaux est d’ailleurs observée1 sur les réseaux sociaux. En France, les députés de la France Insoumise sont à l’origine de 31 % des publications de parlementaires sur X, alors qu’ils ne représentent que 12 % des membres de l’Assemblée nationale. Le Rassemblement national génère 24 % des publications avec 21 % des députés. Une tendance similaire s’observe sur TikTok, le réseau social privilégié des jeunes.
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Postill, J. (2018). Populism and social media: a global perspective. Media, Culture & Society, 40(5), 754-765.
Pour les scientifiques spécialisés dans l’analyse de données, comme les économistes, les réseaux sociaux deviennent un objet d’étude. En analysant les 5,9 millions de tweets publiés par 3579 candidats au Congrès américains de 2012 à 2020, Massimo Morelli et ses collègues constatent que les candidats adaptent leurs discours en fonction du niveau de méfiance des électeurs.
Plus la confiance est faible, plus les candidats emploient une rhétorique populiste, multiplient les promesses et les discours anti-élites. L’effet se retrouve aussi du côté électeurs : le soutien aux candidats populistes augmente significativement quand la méfiance est élevée. Autrement dit, engagement et populisme forment un couple stratégique.

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Une arme à double tranchant
Mais cette stratégie de l’engagement a un revers. Puisqu’elle rend suspectes les institutions indépendantes, les contre-pouvoirs, elle augmente donc la vulnérabilité démocratique. Par ailleurs, pour rassurer, les candidats s’enferment dans des promesses fermes. En rigidifiant l’action publique, elle limite la capacité des gouvernants à s’adapter ou à négocier.
Récemment en France, Marine Le Pen s’est retrouvée piégée par ses propres déclarations, illustrant la limite de cette stratégie. Autrefois fervente partisane de l’inéligibilité des élus condamnés, elle a dénoncé sa propre condamnation comme une « folie (…) bafouant la souveraineté du peuple français ». Une incohérence révélatrice.
Une dynamique réversible ?
En somme, cette étude nous pousse à dépasser l’étiquette « populiste » pour comprendre une mécanique plus profonde : la transformation du lien démocratique à mesure que la confiance s’effrite. Plus cette confiance diminue, plus les électeurs exigent des engagements fermes et acceptent des discours clivants. Comment restaurer la confiance sans basculer dans un autoritarisme insidieux ? Comment repenser les institutions pour qu’elles retrouvent leur légitimité sans s’enfermer dans la technocratie ou le déni ?
Car au fond, la démocratie repose sur un contrat moral fragile : la capacité à croire que nos représentants agissent, sinon toujours avec succès, du moins avec sincérité. Sans cela, les promesses mêmes les plus fermes ne sont pas une solution. Elles deviennent une fuite en avant.