Justice sociale

Plafond de verre à l’université : quand les femmes s’autocensurent

Photo by Peshkov on AdobeStock

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Pourquoi si peu de femmes au sommet des professions universitaires ? Dans la recherche française en économie, les auteurs Clément Bosquet, Pierre-Philippe Combes et Cecilia García-Peñalosa montrent que si seuls 18% des femmes atteignent les plus hauts grades, c’est avant tout une affaire de candidatures. Au-delà de la discrimination, ce sont les femmes elles-mêmes qui s’auto-censurent en postulant moins.

Par Cecilia García-Peñalosa

Cecilia García-Peñalosa

Auteur scientifique, CNRS, EHESS, AMSE

,
Clément Bosquet

Clément Bosquet

Auteur scientifique, Université de Cergy-Pontoise

,
Aurore Basiuk

Aurore Basiuk

Journaliste scientifique

En 1965, les femmes obtiennent le droit de travailler et ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari. Moins de dix ans plus tard, l’égalité de rémunération entre dans la loi. Est-ce la fin des écarts de salaire ? Pas vraiment. En 2015 cet écart est encore de 9% à poste et compétences équivalents1 . Autre problème pour atteindre l’égalité professionnelle : le plafond de verre. Les sommets hiérarchiques semblent hermétiques à une partie de la population, dont les femmes, et ce même dans le domaine académique.

Dans les effectifs des licences et masters de sciences économiques, on atteint presque la parité. Pourtant le pourcentage de femme diminue drastiquement en montant dans les échelons. Dans le milieu étudié, celui de la recherche universitaire en France entre 1991 et 2008, on compte 18 % de femmes aux grades les plus élevés : professeur des universités et directeur de recherche au CNRS. Les économistes Clément Bosquet, Pierre-Philippe Combes et Cecilia García-Peñalosa montrent dans leur étude que les hommes sont 50% plus susceptibles d’être candidats aux promotions, à CV identiques.

 

Comment trouver les mécanismes à l’œuvre derrière cet écart dans l’avancement des carrières ? Pour constater que les femmes accèdent moins au poste de professeur que les hommes, il suffit de regarder les chiffres. Pour en comprendre les raisons, c’est un peu plus complexe : il faut commencer par affiner la question. Où se situe la différence ? Les femmes postulent-elles autant que les hommes ? Sont-elles autant admises au concours quand elles ont postulé ? Autant de questions qui ne peuvent trouver réponse qu’avec des données de qualité. Il faut, par exemple, avoir une liste des candidats potentiels, c'est-à-dire toutes ces personnes qui auraient eu l’aptitude nécessaire pour postuler à une promotion mais qui ne l’ont pas fait. Cette donnée est présente dans la fonction publique française où tout avancement est accessible au personnel ayant une certaine ancienneté.

De l’intérêt d’être promu

Les économistes se sont intéressés à deux parcours de promotion, l’un à l’université et l’autre au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), qui s’obtiennent grâce à deux concours externes, respectivement l’agrégation du supérieur et un concours de Directeur de recherche. Accéder au grade supérieur permet d’augmenter ses revenus. Cependant, contrairement au secteur privé, ici les heures de travail ne changent pas avec la promotion. En termes d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, il n’y a donc aucune conséquence horaire à vouloir monter dans la hiérarchie. Cela permet d’éliminer l’argument parfois présenté qui veut que les femmes ne postulent pas aux promotions pour maintenir cet équilibre.

Cela ne veut pas dire que l’avancement en grade n’a pas de coût. L’agrégation est un concours complexe demandant une grande préparation en amont. La réussir est souvent synonyme de déménagement, puisque les lauréats sont couramment affectés dans une université autre que celle où ils travaillaient. Ce coût est moindre avec le concours du CNRS qui ne nécessite que d’envoyer un projet de recherche et un CV. Pas d’épreuves complexes, pas d’affectation dans une université éloignée, pas de raison, en somme, de ne pas postuler.

« Viser la lune » un objectif pour toutes ?

Clément Bosquet, Pierre-Philippe Combes et Cecilia García-Peñalosa montrent qu’une chercheuse ayant publié le même nombre et la même qualité d’articles scientifiques qu’un chercheur a autant de chance d’être promue que lui si elle postule. À ce niveau, il n’y a pas de preuve de discrimination envers les femmes. Pourtant, dans l’absolu, les hommes ont deux fois plus de chance d’être promus. Comment expliquer cet écart ?

Près d’un quart du fossé s’explique par une différence dans le nombre et la qualité des publications. Les femmes publient en moyenne moins d’articles scientifiques dans de grandes revues, ce qui peut être expliqué par leur âge : dans l’échantillon elles sont en moyenne plus jeunes que les hommes2 . Mais la majorité de la différence vient du fait que les femmes postulent moins que les hommes. Ce fait explique 76% de l’écart dans les promotions à l’université et 55% au CNRS. Un résultat étonnant ? Pas pour Cecilia García-Peñalosa une des co-autrices de l’article :

  • 2D’autres raisons expliquent aussi cette différence de publication notamment une différence de traitement des femmes de la part des grandes revues scientifiques. Pour en savoir plus sur le sujet : Hengel E., 2017."Publishing while Female. Are women held to higher standards? Evidence from peer review,"Cambridge Working Papers in Economics 1753, Faculty of Economics, University of Cambridge.

« Je n’étais pas surprise de trouver que les femmes ont moins tendance à se porter candidates. Pourquoi? Cela me renvoie à mon expérience personnelle. Il y a des moments, dans ma propre carrière, où j’ai fait un pas en avant parce qu’il y avait à côté de moi une personne qui me poussait un peu. Je suis consciente que je ne l’aurais probablement pas fait si cette personne n’avait pas été là »

 

Être ou ne pas être candidate ?

Pourquoi les femmes postulent-elles moins que leurs homologues masculins alors que les désavantages d’une promotion sont minimes ?

Plusieurs pistes de réflexion sont possibles. Par exemple, d’autres études ont montré que les femmes ont tendance à moins se mettre situation de compétition que les hommes3 . Dans la recherche, les femmes se mettent en retrait et promeuvent moins leur travail que les hommes. Elles citent moins leurs propres articles que leurs homologues masculins et ce même quand le faire aurait été pertinent4 .

Que ce soit parce qu’elles ne pensent pas pouvoir réussir ou parce qu’elles ont peur de se confronter à de la discrimination (même s’il n’y en a pas dans les faits ici), le résultat est le même. Bien que postuler à une promotion comme celle du CNRS n’ait que des bénéfices, les chercheuses le font deux fois moins que les chercheurs. Tout cela pointe vers une autocensure des femmes, qu’elle soit consciente ou non : la discrimination est intériorisée. 

Pour pallier cette autocensure, les auteurs proposent une solution : toute personne remplissant les conditions pour monter en grade serait candidate automatiquement. L’action serait alors de refuser la candidature au lieu de postuler. Cependant, cette solution à court terme n’agit pas sur les racines du problème. Permettre aux femmes d’avoir plus confiance en elles-mêmes et en leurs capacités, d’atteindre des ambitions toujours plus grandes, et de se rendre compte que parfois il n’y a pas de discrimination est un véritable défi. Mais en prendre conscience est le premier pas pour permettre aux femmes de conquérir les sommets (hiérarchiques).

  • 3Niederle M., Vesterlund L., 2007, « Do Women Shy Away From Competition? Do Men Compete Too Much? », The Quarterly Journal of Economics, 122 (3), 2007, 1067–1101
  • 4King M.M. , Bergstrom C. T., Correll S. J., Jacquet J., West, J. D, 2017, « Men Set Their Own Cites High: Gender and Self-citation across Fields and over Time », Socius 3: 1-22. 10.1177/2378023117738903

Références

Bosquet C., Combes P-P., García‐Peñalosa C., 2019, « Gender and Promotions: Evidence from Academic Economists in France », Scandinavian Journal of Economics, 121 (3), 1020-1053

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